Dans les communautés subsahariennes,
on peut être vite tenté de céder à la tentation de l'insulte et
du dénigrement pour expliquer que nous ne faisons pas de projets
ensembles, que nous ne nous soutenons pas, etc. Nous serions
étiquetés “pas solidaires” (tel un label rare d'une élite
particulièrement distinguée...). Mais au juste, qu'est-ce qu'”être solidaire” pour
commencer ? S'aimer ? Se faire des calins dans la rue ? Se porter le
panier de course jusqu'au 15 ème étage quitte à faire du réperage
pour trouver LA personne qui a besoin de vous quelque part dans la
ville ?
C'est quoi être solidaire ? Très
vague comme propos. Les subsahariens doivent garder à l'esprit que
nous sommes les héritiers d'un désordre social et d'une
déliquescence globale héritée de nos défaites passées. Les
générations précédentes n'ayant pas repris en main le travail de
reconstruction, nous sommes, en 2015, quasiment au même point qu'il
y a 80 ans.
Parler dans ces conditions de
“non-solidarité” est un non-sens. En effet, comment être
solidaire et donc, loyal, quand vous êtes :
- complètement dispersés sociétalement, dans un désordre total
- excessivement dépendant de la communauté qui vous domine (en particulier les européens) et qui vous octroie des ressources pour survivre en l'échange d'une loyale docilité
- ne disposez d'aucun gouvernement ou aucune institution publique en mesure politiquement de vous donner des instructions générales pour adopter un comportement globalement uniforme et suffisamment bien orchestré (mon propos n'est pas ici de dire que "tout est de la faute des présidents corrompus", au contraire, je dis doublement qu'il appartient à la société civile de se prendre en charge, remettre sur le dos de quelques hommes la débâcle de centaines de millions d'autres relève, au mieux, de la mauvaise foi)
- etc. etc. etc.
La solidarité n'est donc pas le souci
des subsahariens, leur véritable souci étant qu'ils sont surtout
complètement dispersés et abandonnés à leur sort. On a hérité
du désordre, et on vit dans le désordre. Encore une fois, cela n'empêche en rien notre fleurissement. Simplement, c'est un paramètre à prendre en compte pour l'établissement d'une stratégie quelconque -cf. mon article sur "l'échec". Il est évident que l'idée que notre salut proviendra soit d'un élan collectif simultané, soit du sursaut d'une quelconque administration est aujourd'hui une utopie. Et se servir de ce prétexte pour ne rien faire relève d'un défaitisme entièrement coupable. Il y a une voie, mais elle est le reflet de notre situation. Explications. Avant de
parler de solidarité, on devrait déjà se demander comment
reprendre confiance en nous, comment repartir sur des bases plus
solides, afin de partager à nouveau des projets, des constructions
collectives, des victoires. Afin de partager de défis qui font
lien, et qui souderaient des groupes éparpillés, autour d'intérêts
communs (intérêts qui existent bel et bien, inutile de le
préciser).
Quand je parle de projets, je parle de
projets économiques. Pourquoi ? Car vous ne pouvez
prétendre créer des projets fédérateurs si celui qui vous permet
de le monter est le même qui vous maintien à terre et dans la
dépendance. La fédération n'est possible que dans la dignité, et
donc, l'indépendance. De plus, les subsahariens doivent cesser de
s'imaginer qu'ils ne peuvent qu'être esclaves de sociétés
étrangères, et comprendre que leur dignité retrouvée commencera
par la conscience de pouvoir d'abord créer sa propre richesse pour
son propre bénéfice. Les subsahariens ont atteint un tel stade
d'aliénation que bon nombre n'imagine pas que la seconde voie est
possible, et encore moins, qu'elle est souhaitable. C'est ce qui
distingue la frange éclairée, l'élite ancestrale de notre population de sa masse
aliénée. Travailler pour soi, créer sa propre richesse. Source
première de fierté et de dignité sociale : préalable à toute
entreprise plus ambitieuse encore.
Seulement, comment faire avec une
communauté qui partage des intérêts communs mais ne veut pas
montrer qu'elle diverge avec les intérêts de ses prédateurs, car il faut bien rester docile pour
être toléré et avoir droit à quelques miettes ? Comment faire avec des gens qui ont peur d'affirmer leur identité et
qui jouent de ce fait, un double jeu où il tirent sur la corde qui les étrangle ? Par où
commencer pour recréer cette fameuse “solidarité”, ce soutien
commun ?
Eh bien, déjà, commençons par le
commencement : réunissons-nous autour de projets qui permettent
d'assurer notre développement. Ecoutez, je ne parle pas de projets
qui engloberaient 500 millions de subsahariens dans une tâche
pharaonique. Loin de moi cette idée : ce serait proposer de commencer par la fin. On propose de commencer par la fin quand on affirme qu'il faut de la solidarité dès maintenant et séance tenante pour 1 milliards d'individus subsahariens sous prétexte que
c'est moralement souhaitable. Comprenons que cette
fameuse solidarité découle avant tout d'une confiance que des
personnes ont envers d'autres grâce à la certitude qu'elles
partagent à l'instant T des défis, des risques, des intérêts, des
espoirs communs, et qu'elles les mettent concrètement
en oeuvre. C'est cela qui suscite la solidarité, pas autre chose. Même l'Union sacrée demeure une affaire de petits calculs quand est fragilisé. Il faut en passer par là.
Où je veux en venir ? Au
fait que la solidarité est une fausse question. La véritable
question que l'on devrait se poser est : comment nous fédérer,
d'abord par micros groupes, et le temps passant, vers des groupes de
plus en plus importants (par fusions, par attraction de nouveaux
membres, etc.). Se fédérer autours de projets lucratifs est le
véritable défi. Lorsque des subsahariens, par petits groupes de 3,
5 ou 10 personnes commencent par se réunir autour d'une table pour discuter sérieusement d'entreprendre, ils
entrent dans une dynamique positive et solidaire. Pourquoi ? Car ils sont dans l'action concrète, non dans la bavardologie.
Ils ne dépendent plus des prédateurs pour s'entendre dire comment ils doivent être docile pour ramasser une miette tombée de la table à la fin du mois ; ni qui ils doivent aimer ou détester pour être jugés dociles et donc, convenables. Coupez le cordon ombilicales avec votre prédateur, rompez la dépendance et manger les fruits de votre propre jardin. Alors seulement, les subsahariens avanceront vers la liberté et tout ce qui en découle de constructif, de positif.
Ils ne dépendent plus des prédateurs pour s'entendre dire comment ils doivent être docile pour ramasser une miette tombée de la table à la fin du mois ; ni qui ils doivent aimer ou détester pour être jugés dociles et donc, convenables. Coupez le cordon ombilicales avec votre prédateur, rompez la dépendance et manger les fruits de votre propre jardin. Alors seulement, les subsahariens avanceront vers la liberté et tout ce qui en découle de constructif, de positif.
La
solidarité est une fausse question,
car la solidarité découle naturellement de la fédération
et non l'inverse ! Quand vous êtes fédérés (même si vous n'êtes
que 5, c'est déjà une victoire), vous commencez à vous demandez ce
que vous pouvez faire pour changer la donne au lieu d'accuser l'autre
de votre propre misère et inaction. Vous commencez enfin à
construire, bâtir, et vous retrouvez une certaine fierté dans cette
indépendance, cette autonomie, cette maîtrise d'un destin qui
n'aurait jamais dû vous échapper. Votre destin n'appartient qu'à vous, ni aux européens, ni aux gouvernements africains. Plus tôt vous l'admettez, plus tôt vous vous en sortirez.
Si l'on part du principe que 5
subsahariens se fédèrent et bâtissent, ils finiront forcément par
rencontrer 5 autres subsahariens qui seront dans un projet similaire
ou connexe, puis 10 autres, puis 20 autres, puis 100, etc. Encore une fois, la solidarité ne vient pas du
haut vers le bas où on décrète que 5 millions sont solidaires, donc
cela permet à 5000 groupes d'agir ! Pas du tout ! La solidarité part du bas vers le haut avec 5000 tous petits
groupuscules qui ont commencé à agir, 5 gouttes d'eau, puis une
vague, enfin une gigantesque lame de fond basée sur la défense concrète d'intérêts communs. Comme le dit un proverbe subsaharien : un millions de gouttes sont descendues de la montagne pour former un fleuve. Autrement dit, si chacun travaille de son côté, on finira nécessairement par se croiser en chemin.
En ce qui me concerne donc, la
solidarité, je n'y crois pas une seule seconde. Ou plutôt, j'y
crois -car elle est indispensable à toute entité sociale-, mais
comme un résultat et non comme une condition de départ ! J'ai
compris à travers mon expérience que demander à des subsahariens
d'être solidaires sans leur expliquer en quoi cela sert leurs
intérêts ni ce qu'ils ont à y gagner vous mènera droit dans le mur. Les gens veulent du concret, et veulent servir leurs intérêts
: c'est comme ça, personne ne veut prendre de risque sans la
certitude d'une récompense en aval. Mais si vous leur expliquer
qu'il faudrait monter telle ou telle entreprise afin de mettre en
avant un aspect spécifique de leur culture, et, cerise sur le
gâteau, en empochant de l'argent frais pour le business créé, alors je
vous garantis que de très nombreuses personnes vont accourir pour se
lancer. Pareillement en ce qui me concerne, je ne vois pas pourquoi
je devrai me forcer à aimer des subsahariens alors que je ne défend aucun de nos intérêts à leur côté.
Mieux vaut être étrangers les uns aux autres et être tous actifs que dépenser inutilement notre énergie à vouloir suivre un dogme sans issue. Nous gagnerions à nous recentrer sur nos priorités absolues qui sont de revaloriser notre matrice culturelle et retrouver une autonomie économique. Et pour y arriver, chacun doit penser “action”. Chacun ne doit se solidariser qu'auprès des personnes qui l'aideront à atteindre ses objectifs, soit créer de la richesse subsaharienne. Nous sortirons alors ipso facto de cette passivité qui nous ronge et nous enlise collectivement depuis des siècles.
Mieux vaut être étrangers les uns aux autres et être tous actifs que dépenser inutilement notre énergie à vouloir suivre un dogme sans issue. Nous gagnerions à nous recentrer sur nos priorités absolues qui sont de revaloriser notre matrice culturelle et retrouver une autonomie économique. Et pour y arriver, chacun doit penser “action”. Chacun ne doit se solidariser qu'auprès des personnes qui l'aideront à atteindre ses objectifs, soit créer de la richesse subsaharienne. Nous sortirons alors ipso facto de cette passivité qui nous ronge et nous enlise collectivement depuis des siècles.
Vous travaillez dur. Vous y êtes, vous voyez, et un beau jour, voilà cette fameuse solidarité qui surgit merveilleusement.
Enfin, vous travaillez pour vous mêmes.
Et vous avez tout compris : de groupes en groupes, c'est ainsi que
les subsahariens vont retrouver une vie communautaire digne de ce
nom. Plus besoin de mendier des miettes au maître, désormais, vous
avez les moyens de financer vous mêmes vos événements, vos
réunions autour de vos projets,
vos intérêts. Vous
êtes vôtre, vous vous réappropriez votre existence.
A ce moment là, on
ne se demandera plus où est la solidarité et qui est vraiment
solidaire, mais où est la solution pour le dernier projet mis en
place. Afin d'avancer, encore un peu plus, toujours plus, vers plus de liberté, et plus d'harmonie.
Si les subsahariens comprennent cela,
alors plutôt que de se demander pourquoi les gens ne sont pas
solidaires, ils se demanderont plutôt qu'est-ce qu'ils peuvent eux-mêmes mettre en place pour s'enrichir et défendre leur patrimoine civilisationnel. Nous pouvons le faire, mais il faut simplement
le comprendre : la solidarité est le résultat, et seulement le résultat.
Inutile d'être trop gourmand au
départ, de simples épiceries, des restaurants, des bars aux reflets de l'Afrique subsaharienne, de la vente dans la diaspora de nos produits agricoles transformés
sur le continent, de petits centres d'appel -ou autre chose, à
vous de trouver enfin ! Tout cela suffira. Commençons petit, et
grandissons au fil du temps. C'est ainsi que nous deviendront plus
soudés, pas autrement. Ceux qui pensent que la
solidarité jaillira du néant via une dose massive de bonnes
résolutions, se mettent a minima un doigt dans l'oeil.
De nombreuses personnalités
subsahariennes ont déjà compris cela, que nos ancêtres veillent
sur elles. Tel le prof Jean-Paul Pougala qui crée actuellement une
classe d'industriels africains qui colle exactement à ce que je
viens de vous expliquer. Ils étaient 50 il y a 3 ans, ils sont 1300
aujourd'hui.
De ce type d'action, les exemples à
travers le monde sont foisons, et je crois bien que c'est une règle
générale. Pour faire naître la solidarité, il faut d'abord
fédérer un petit groupe autour de projets concrets avec des résultats tangibles à la clé.
Par exemple, la muraille verte en Chine
n'avait mobilisé que des centaines de volontaires au départ, en
1978, et ils sont aujourd'huis des dizaines de milliers venus de tous
horizons. Depuis trente ans, ils ont déjà planté 50 milliards
d'arbres, l'objectif à terme étant de 100 milliards . Projets
fédérateurs = solidarité.
J'en resterai là. De grâce mes chers
frères et soeurs subsahariens, n'invoquez plus la solidarité comme
on invoque la pluie, creusez plutôt des puits de projets concrets. Vous verrez bien qu'à force de creuser, nous
tomberons un jour sur une source d'eau gorgée de
dynamisme sociétal. Et cet instant sera d'une saveur que vous n'oseriez
imaginer.
Muungano Kuokoa.
Muungano Kuokoa.
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