mercredi 2 décembre 2015

Le problème de solidarité entre les subsahariens ? Une fausse question.

 Dans les communautés subsahariennes, on peut être vite tenté de céder à la tentation de l'insulte et du dénigrement pour expliquer que nous ne faisons pas de projets ensembles, que nous ne nous soutenons pas, etc. Nous serions étiquetés “pas solidaires” (tel un label rare d'une élite particulièrement distinguée...). Mais au juste, qu'est-ce qu'”être solidaire” pour commencer ? S'aimer ? Se faire des calins dans la rue ? Se porter le panier de course jusqu'au 15 ème étage quitte à faire du réperage pour trouver LA personne qui a besoin de vous quelque part dans la ville ?

C'est quoi être solidaire ? Très vague comme propos. Les subsahariens doivent garder à l'esprit que nous sommes les héritiers d'un désordre social et d'une déliquescence globale héritée de nos défaites passées. Les générations précédentes n'ayant pas repris en main le travail de reconstruction, nous sommes, en 2015, quasiment au même point qu'il y a 80 ans.
Parler dans ces conditions de “non-solidarité” est un non-sens. En effet, comment être solidaire et donc, loyal, quand vous êtes :

  1. complètement dispersés sociétalement, dans un désordre total
  2. excessivement dépendant de la communauté qui vous domine (en particulier les européens) et qui vous octroie des ressources pour survivre en l'échange d'une loyale docilité 
  3. ne disposez d'aucun gouvernement ou aucune institution publique en mesure politiquement de vous donner des instructions générales pour adopter un comportement globalement uniforme et suffisamment bien orchestré (mon propos n'est pas ici de dire que "tout est de la faute des présidents corrompus", au contraire, je dis doublement qu'il appartient à la société civile de se prendre en charge, remettre sur le dos de quelques hommes la débâcle de centaines de millions d'autres relève, au mieux, de la mauvaise foi)
  4. etc. etc. etc.

La solidarité n'est donc pas le souci des subsahariens, leur véritable souci étant qu'ils sont surtout complètement dispersés et abandonnés à leur sort. On a hérité du désordre, et on vit dans le désordre. Encore une fois, cela n'empêche en rien notre fleurissement. Simplement, c'est un paramètre à prendre en compte pour l'établissement d'une stratégie quelconque -cf. mon article sur "l'échec". Il est évident que l'idée que notre salut proviendra soit d'un élan collectif simultané, soit du sursaut d'une quelconque administration est aujourd'hui une utopie. Et se servir de ce prétexte pour ne rien faire relève d'un défaitisme entièrement coupable. Il y a une voie, mais elle est le reflet de notre situation. Explications. Avant de parler de solidarité, on devrait déjà se demander comment reprendre confiance en nous, comment repartir sur des bases plus solides, afin de partager à nouveau des projets, des constructions collectives, des victoires. Afin de partager de défis qui font lien, et qui souderaient des groupes éparpillés, autour d'intérêts communs (intérêts qui existent bel et bien, inutile de le préciser).
Quand je parle de projets, je parle de projets économiques. Pourquoi ? Car vous ne pouvez prétendre créer des projets fédérateurs si celui qui vous permet de le monter est le même qui vous maintien à terre et dans la dépendance. La fédération n'est possible que dans la dignité, et donc, l'indépendance. De plus, les subsahariens doivent cesser de s'imaginer qu'ils ne peuvent qu'être esclaves de sociétés étrangères, et comprendre que leur dignité retrouvée commencera par la conscience de pouvoir d'abord créer sa propre richesse pour son propre bénéfice. Les subsahariens ont atteint un tel stade d'aliénation que bon nombre n'imagine pas que la seconde voie est possible, et encore moins, qu'elle est souhaitable. C'est ce qui distingue la frange éclairée, l'élite ancestrale de notre population de sa masse aliénée. Travailler pour soi, créer sa propre richesse. Source première de fierté et de dignité sociale : préalable à toute entreprise plus ambitieuse encore.

Seulement, comment faire avec une communauté qui partage des intérêts communs mais ne veut pas montrer qu'elle diverge avec les intérêts de ses prédateurs, car il faut bien rester docile pour être toléré et avoir droit à quelques miettes ? Comment faire avec des gens qui ont peur d'affirmer leur identité et qui jouent de ce fait, un double jeu où il tirent sur la corde qui les étrangle ? Par où commencer pour recréer cette fameuse “solidarité”, ce soutien commun ?
Eh bien, déjà, commençons par le commencement : réunissons-nous autour de projets qui permettent d'assurer notre développement. Ecoutez, je ne parle pas de projets qui engloberaient 500 millions de subsahariens dans une tâche pharaonique. Loin de moi cette idée : ce serait proposer de commencer par la fin. On propose de commencer par la fin quand on affirme qu'il faut de la solidarité dès maintenant et séance tenante pour 1 milliards d'individus subsahariens sous prétexte que c'est moralement souhaitable. Comprenons que cette fameuse solidarité découle avant tout d'une confiance que des personnes ont envers d'autres grâce à la certitude qu'elles partagent à l'instant T des défis, des risques, des intérêts, des espoirs communs, et qu'elles les mettent concrètement en oeuvre. C'est cela qui suscite la solidarité, pas autre chose. Même l'Union sacrée demeure une affaire de petits calculs quand est fragilisé. Il faut en passer par là. 
Où je veux en venir ? Au fait que la solidarité est une fausse question. La véritable question que l'on devrait se poser est : comment nous fédérer, d'abord par micros groupes, et le temps passant, vers des groupes de plus en plus importants (par fusions, par attraction de nouveaux membres, etc.). Se fédérer autours de projets lucratifs est le véritable défi. Lorsque des subsahariens, par petits groupes de 3, 5 ou 10 personnes commencent par se réunir autour d'une table pour discuter sérieusement d'entreprendre, ils entrent dans une dynamique positive et solidaire. Pourquoi ? Car ils sont dans l'action concrète, non dans la bavardologie.
Ils ne dépendent plus des prédateurs pour s'entendre dire comment ils doivent être docile pour ramasser une miette tombée de la table à la fin du mois ; ni qui ils doivent aimer ou détester pour être jugés dociles et donc, convenables. Coupez le cordon ombilicales avec votre prédateur, rompez la dépendance et manger les fruits de votre propre jardin. Alors seulement, les subsahariens avanceront vers la liberté et tout ce qui en découle de constructif, de positif.
La solidarité est une fausse question, car la solidarité découle naturellement de la fédération et non l'inverse ! Quand vous êtes fédérés (même si vous n'êtes que 5, c'est déjà une victoire), vous commencez à vous demandez ce que vous pouvez faire pour changer la donne au lieu d'accuser l'autre de votre propre misère et inaction. Vous commencez enfin à construire, bâtir, et vous retrouvez une certaine fierté dans cette indépendance, cette autonomie, cette maîtrise d'un destin qui n'aurait jamais dû vous échapper. Votre destin n'appartient qu'à vous, ni aux européens, ni aux gouvernements africains. Plus tôt vous l'admettez, plus tôt vous vous en sortirez. 

Si l'on part du principe que 5 subsahariens se fédèrent et bâtissent, ils finiront forcément par rencontrer 5 autres subsahariens qui seront dans un projet similaire ou connexe, puis 10 autres, puis 20 autres, puis 100, etc. Encore une fois, la solidarité ne vient pas du haut vers le bas où on décrète que 5 millions sont solidaires, donc cela permet à 5000 groupes d'agir ! Pas du tout ! La solidarité part du bas vers le haut avec 5000 tous petits groupuscules qui ont commencé à agir, 5 gouttes d'eau, puis une vague, enfin une gigantesque lame de fond basée sur la défense concrète d'intérêts communs. Comme le dit un proverbe subsaharien : un millions de gouttes sont descendues de la montagne pour former un fleuve. Autrement dit, si chacun travaille de son côté, on finira nécessairement par se croiser en chemin.

En ce qui me concerne donc, la solidarité, je n'y crois pas une seule seconde. Ou plutôt, j'y crois -car elle est indispensable à toute entité sociale-, mais comme un résultat et non comme une condition de départ ! J'ai compris à travers mon expérience que demander à des subsahariens d'être solidaires sans leur expliquer en quoi cela sert leurs intérêts ni ce qu'ils ont à y gagner vous mènera droit dans le mur. Les gens veulent du concret, et veulent servir leurs intérêts : c'est comme ça, personne ne veut prendre de risque sans la certitude d'une récompense en aval. Mais si vous leur expliquer qu'il faudrait monter telle ou telle entreprise afin de mettre en avant un aspect spécifique de leur culture, et, cerise sur le gâteau, en empochant de l'argent frais pour le business créé, alors je vous garantis que de très nombreuses personnes vont accourir pour se lancer. Pareillement en ce qui me concerne, je ne vois pas pourquoi je devrai me forcer à aimer des subsahariens alors que je ne défend aucun de nos intérêts à leur côté.
Mieux vaut être étrangers les uns aux autres et être tous actifs que dépenser inutilement notre énergie à vouloir suivre un dogme sans issue. Nous gagnerions à nous recentrer sur nos priorités absolues qui sont de revaloriser notre matrice culturelle et retrouver une autonomie économique. Et pour y arriver, chacun doit penser “action”. Chacun ne doit se solidariser qu'auprès des personnes qui l'aideront à atteindre ses objectifs, soit créer de la richesse subsaharienne. Nous sortirons alors ipso facto de cette passivité qui nous ronge et nous enlise collectivement depuis des siècles. 

Vous travaillez dur. Vous y êtes, vous voyez, et un beau jour, voilà cette fameuse solidarité qui surgit merveilleusement.
Enfin, vous travaillez pour vous mêmes. Et vous avez tout compris : de groupes en groupes, c'est ainsi que les subsahariens vont retrouver une vie communautaire digne de ce nom. Plus besoin de mendier des miettes au maître, désormais, vous avez les moyens de financer vous mêmes vos événements, vos réunions autour de vos projets, vos intérêts. Vous êtes vôtre, vous vous réappropriez votre existence.
A ce moment là, on ne se demandera plus où est la solidarité et qui est vraiment solidaire, mais où est la solution pour le dernier projet mis en place. Afin d'avancer, encore un peu plus, toujours plus, vers plus de liberté, et plus d'harmonie.

Si les subsahariens comprennent cela, alors plutôt que de se demander pourquoi les gens ne sont pas solidaires, ils se demanderont plutôt qu'est-ce qu'ils peuvent eux-mêmes mettre en place pour s'enrichir et défendre leur patrimoine civilisationnel. Nous pouvons le faire, mais il faut simplement le comprendre : la solidarité est le résultat, et seulement le résultat.

Inutile d'être trop gourmand au départ, de simples épiceries, des restaurants, des bars aux reflets de l'Afrique subsaharienne, de la vente dans la diaspora de nos produits agricoles transformés sur le continent, de petits centres d'appel -ou autre chose, à vous de trouver enfin ! Tout cela suffira. Commençons petit, et grandissons au fil du temps. C'est ainsi que nous deviendront plus soudés, pas autrement. Ceux qui pensent que la solidarité jaillira du néant via une dose massive de bonnes résolutions, se mettent a minima un doigt dans l'oeil.
De nombreuses personnalités subsahariennes ont déjà compris cela, que nos ancêtres veillent sur elles. Tel le prof Jean-Paul Pougala qui crée actuellement une classe d'industriels africains qui colle exactement à ce que je viens de vous expliquer. Ils étaient 50 il y a 3 ans, ils sont 1300 aujourd'hui.

De ce type d'action, les exemples à travers le monde sont foisons, et je crois bien que c'est une règle générale. Pour faire naître la solidarité, il faut d'abord fédérer un petit groupe autour de projets concrets avec des résultats tangibles à la clé.
Par exemple, la muraille verte en Chine n'avait mobilisé que des centaines de volontaires au départ, en 1978, et ils sont aujourd'huis des dizaines de milliers venus de tous horizons. Depuis trente ans, ils ont déjà planté 50 milliards d'arbres, l'objectif à terme étant de 100 milliards . Projets fédérateurs = solidarité.

J'en resterai là. De grâce mes chers frères et soeurs subsahariens, n'invoquez plus la solidarité comme on invoque la pluie, creusez plutôt des puits de projets concrets. Vous verrez bien qu'à force de creuser, nous tomberons un jour sur une source d'eau gorgée de dynamisme sociétal. Et cet instant sera d'une saveur que vous n'oseriez imaginer.

Muungano Kuokoa.  

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